L'Histoire de la Vigne en Lorraine : Le Vin de Moselle à Travers les Siècles

L'Histoire de la Vigne en Lorraine : Le Vin de Moselle à Travers les Siècles




La Lorraine, terre de forêts, de châteaux et d'industries, cache aussi un riche passé viticole. Si aujourd'hui le vin mosellan commence à retrouver sa place sur les tables, il a traversé des siècles de prospérité et de déclin. En retraçant son histoire, de l'Antiquité à nos jours, on découvre les défis et la renaissance d'un vignoble qui fait partie des plus anciens de France.


Des racines antiques au Moyen Âge

Introduite dans le Nord de la Gaule par les Romains vers 276 après J.C. sous l’empereur Probus, la vigne trouve en Moselle un terroir propice grâce à ses sols argilo-calcaires bien drainés et ses coteaux exposés au soleil. Déjà au IVe siècle, le poète romain Ausone célèbre la beauté des vignobles mosellans dans son œuvre Mosella. Ce cadre idyllique survit aux invasions barbares, et sous les Mérovingiens, Metz devient la capitale de l'Austrasie, en partie grâce à la richesse de ses vignobles. Cette prospérité se poursuit au Moyen Âge, où la viticulture devient un symbole social majeur. Le vin est alors largement exploité par les moines et le clergé, qui possèdent de nombreuses parcelles autour des abbayes, notamment celle de Gorze, connue pour la qualité de ses crus.


La prospérité et les défis du vignoble (XVe-XVIIIe siècle)

Le vignoble mosellan connaît une période de forte expansion au XVe siècle, marquée par une prospérité sans précédent. Cette époque est marquée par l'intérêt croissant des seigneurs, des abbayes et des bourgeois pour la viticulture. Les terres autour de Metz, ainsi que dans les villages voisins, sont largement couvertes de vignes, et le vin de Moselle est exporté vers des marchés prestigieux comme ceux de l’Angleterre, des Pays-Bas ou encore de la Flandre. Cependant, cet essor s’accompagne de défis majeurs qui marquent progressivement un déclin.


Guerres féodales et instabilité politique

La prospérité du vignoble mosellan n'est pas sans obstacles. Aux XIVe et XVe siècles, la région est fréquemment secouée par des conflits féodaux entre la ville de Metz et les duchés voisins de Lorraine, de Bar et de Luxembourg. Ces guerres dévastent régulièrement les vignobles, causant des pertes importantes. Bien que les propriétaires terriens et les abbés tentent de replanter après chaque conflit, ces périodes d'instabilité nuisent à la qualité de la production. Face à ces événements, la viticulture de la région se concentre de plus en plus sur des cépages à haut rendement, mais de moindre qualité.


L’essor et les limites de la viticulture religieuse

Durant cette période, l'Église joue un rôle crucial dans la gestion des vignobles. Les monastères, en particulier ceux de Gorze et de Saint-Clément, deviennent des centres de production vinicole réputés pour leurs vins de qualité, utilisés dans les cérémonies religieuses et pour accueillir les invités prestigieux. Ce contrôle ecclésiastique renforce le prestige de la viticulture mosellane. Les seigneurs, imitant l'Église, commencent également à investir dans la viticulture, établissant ainsi le vin comme un symbole de pouvoir et de richesse sociale. Toutefois, la demande croissante pour le vin et les gains économiques incitent parfois à privilégier la quantité au détriment de la qualité.


La guerre de Trente Ans (1618-1648) : un tournant

La guerre de Trente Ans représente un coup dur pour l'ensemble de la région, y compris pour les vignobles. Les troupes en campagne détruisent les terres agricoles et les vignobles, laissant derrière elles des villages et des terres dévastées. Dans un effort pour revitaliser la production, les vignerons et propriétaires fonciers replantent massivement après la guerre, mais choisissent souvent des cépages plus résistants et à haut rendement, au détriment de la qualité des vins produits. Malgré cette crise, le Parlement de Metz, conscient de l'importance économique du vin, met en place des mesures pour limiter l'importation de vins étrangers afin de protéger le marché local. Il ordonne également l’arrachage des vignes de faible qualité, dans une tentative de préserver le prestige du vin de Moselle.


La révocation de l’Édit de Nantes (1685)

La révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV en 1685, qui entraîne l'exil de nombreux protestants à l'étranger, impacte également la viticulture. De nombreuses vignes mosellanes, qui appartenaient à des familles protestantes, sont redistribuées ou abandonnées. Ce changement de propriété freine encore la croissance du vignoble, déjà affecté par les conflits et les maladies.


Tentatives de préservation et de réglementation

Malgré ces difficultés, la reconnaissance du vin de Moselle persiste. Le Parlement de Metz et les autorités locales comprennent rapidement que la viticulture est une richesse à préserver. Des règlements stricts sont imposés pour assurer la qualité des vins. Par exemple, l’importation de vins étrangers est limitée, et les vignes de mauvaise qualité sont systématiquement arrachées. Cependant, ces efforts ne suffisent pas à enrayer totalement le déclin. À la fin du XVIIIe siècle, avec les bouleversements politiques de la Révolution française, les tentatives de régulation sont mises de côté et la liberté de production est rétablie. Ce changement permet aux viticulteurs de choisir librement leurs cépages, ce qui, souvent, conduit à un choix de variétés plus productives mais moins qualitatives.

En un mot, bien que la viticulture en Moselle ait atteint son apogée durant cette période, des conflits, des choix économiques discutables et des décisions politiques ont progressivement affaibli la qualité et la réputation des vins. Les décennies suivantes ne feront qu’amplifier ce déclin, mais poseront également les bases d'une lente reconstruction au XXe siècle.


Le déclin industriel et le coup du phylloxéra (XIXe-XXe siècles)


Le XIXe siècle marque un tournant décisif pour la viticulture mosellane, qui entre dans une phase de déclin suite à une série de bouleversements économiques et agricoles. Jusqu'à cette époque, les vignobles de la région de la Moselle connaissaient un âge d'or, s'étendant sur environ 34 000 hectares. Cependant, plusieurs facteurs ont contribué à ce déclin, réduisant drastiquement la superficie des vignes à quelques hectares au début du XXe siècle.


L'impact de l'industrialisation et de l'exode rural

L’essor industriel en Lorraine, particulièrement dans les secteurs miniers et sidérurgiques, entraîne une migration massive des travailleurs agricoles vers les nouvelles usines. Ce phénomène, couplé à l’exode rural, vide progressivement les campagnes de leurs ouvriers viticoles. Les propriétaires de vignobles trouvent de moins en moins de main-d'œuvre qualifiée pour entretenir les vignes et récolter les raisins. En conséquence, de nombreux domaines viticoles tombent à l’abandon ou sont convertis à d’autres types de cultures plus facilement mécanisables.


 La concurrence des vins du Midi et l'arrivée du chemin de fer

L'arrivée du chemin de fer dans la région accentue la concurrence pour les producteurs de vin mosellans. Les vignobles du Sud de la France, notamment ceux du Languedoc et de la Provence, peuvent désormais acheminer leurs vins vers le nord plus rapidement et à moindre coût. Leurs vins, souvent produits en plus grande quantité et à des prix plus bas, inondent le marché. Cette nouvelle concurrence met en difficulté les producteurs mosellans, qui peinent à maintenir leurs parts de marché.


Le ravage du phylloxéra

Le coup de grâce survient dans les années 1890 avec l'apparition du phylloxéra, un insecte ravageur originaire d’Amérique du Nord. Ce puceron attaque les racines des vignes, les affaiblit, et finit par les détruire complètement. Le phylloxéra se propage rapidement à travers les vignobles européens, et la Moselle n'échappe pas à cette épidémie. En quelques années, plus des deux tiers des vignes mosellanes sont touchées, obligeant les viticulteurs à arracher leurs pieds malades pour tenter de limiter la propagation du parasite.

À titre d'exemple, la commune de Vallières enregistre la destruction de 11 000 pieds de vigne en 1887. Les efforts pour replanter des vignes résistantes ou pour greffer les cépages locaux sur des porte-greffes américains, plus résistants au phylloxéra, s’avèrent coûteux et difficiles à mettre en œuvre pour de nombreux viticulteurs. De nombreux domaines ne parviennent pas à se relever de cette catastrophe, et l’activité viticole en Moselle entre dans un profond déclin.


La Première Guerre mondiale et la crise économique

La Première Guerre mondiale aggrave la situation. L’annexion de la Lorraine par l’Empire allemand après 1871 coupe la région de ses marchés traditionnels en France. Après la guerre, bien que la région revienne à la France, la reprise de la viticulture mosellane est difficile. Les infrastructures viticoles ont souffert et les producteurs locaux sont accablés par les dettes accumulées pendant la guerre. De plus, avec la fin du marché allemand, le vin de Moselle peine à se faire une place face aux autres grands vins français, dont la réputation s'est renforcée.

En conséquence, à la fin du XXe siècle, le vignoble mosellan est pratiquement réduit à l’état de vestige, ne comptant plus que quelques dizaines d’hectares en production, contre des milliers autrefois. Il faudra attendre les années 1980 pour voir un effort concerté de réhabilitation des vignes mosellanes, mené par une nouvelle génération de vignerons passionnés. 

Ainsi, malgré son déclin au tournant des XIXe et XXe siècles, la viticulture en Moselle est un exemple de résilience, ayant su renaître de ses cendres et retrouver une partie de son prestige au XXIe siècle.


Renaissance et AOC (XXe siècle à aujourd'hui)

Après des siècles de déclin marqué par les guerres, les maladies et la concurrence des autres régions viticoles françaises, le vignoble de Moselle amorce un véritable renouveau dans les années 1980. Cette renaissance est le fruit du travail acharné de plusieurs vignerons passionnés qui, malgré des hectares réduits et une réputation presque effacée, ont su redonner vie aux vignobles mosellans, tout en se concentrant sur la qualité et le respect des terroirs historiques.


Les prémices de la renaissance

La reprise de la viticulture mosellane dans les années 1980 est marquée par l’apparition de nouvelles générations de vignerons désireux de réhabiliter ce patrimoine presque oublié. À cette époque, le vignoble mosellan est morcelé et n'occupe plus que quelques hectares. Face à ce constat, des vignerons décident de reprendre les coteaux jadis plantés en vignes et de travailler des cépages adaptés à la région, comme l'auxerrois et le pinot noir. Ces premiers efforts sont axés sur une viticulture raisonnée, avec une attention particulière à l’environnement, aux méthodes de vinification, et surtout à la qualité des vins.


La reconnaissance par l’AOC en 2010

Un tournant majeur de cette renaissance survient en 2010 lorsque les vins de Moselle obtiennent l’appellation d’origine contrôlée (AOC). Cette reconnaissance, délivrée par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), récompense les progrès qualitatifs réalisés par les vignerons mosellans au cours des dernières décennies. L'AOC impose des cahiers des charges rigoureux, garantissant la typicité et la qualité des vins produits. En particulier, les cépages principaux tels que l'auxerrois, le pinot noir, et le pinot gris, jouent un rôle clé dans la définition du caractère unique des vins de Moselle.

Le vignoble mosellan s’étend alors sur environ 75 hectares en 2010, et bien que modeste, il est l’un des vignobles français les plus dynamiques en termes de croissance. En 2014, la surface plantée atteint 189 hectares, confirmant une progression continue dans la revitalisation du territoire.


Une viticulture moderne et respectueuse de l’environnement

Le renouveau du vin de Moselle est aussi marqué par l'adoption de techniques viticoles modernes et respectueuses de l’environnement. Aujourd’hui, environ 60 % des vignobles mosellans sont cultivés en agriculture biologique ou raisonnée, en adéquation avec les préoccupations écologiques contemporaines. Cette approche permet non seulement de préserver les sols et l’environnement local, mais aussi de produire des vins authentiques, reflétant le terroir unique de la région mosellane.


Le rôle du tourisme œnologique et gastronomique

Le retour en grâce des vins de Moselle a également contribué au développement du tourisme dans la région. La création de la Route des Vins de Moselle, qui s'étend sur environ 46 km, permet aux visiteurs de découvrir les villages viticoles, les domaines, et les caves qui font revivre cette tradition ancestrale. Ce circuit, qui traverse une vingtaine de villages, attire des amateurs de vin désireux de goûter aux crus locaux, tels que le pinot noir et les blancs auxerrois, tout en explorant les magnifiques paysages mosellans.

En parallèle, la région investit dans la promotion de son vin comme atout gastronomique. Le vin de Moselle accompagne désormais de nombreux plats traditionnels lorrains, et les vignerons de la région organisent régulièrement des dégustations et des événements pour faire découvrir la richesse et la diversité de leurs vins.


Une reconnaissance nationale et internationale

Aujourd’hui, bien que la superficie du vignoble mosellan soit encore modeste comparée à d’autres régions viticoles françaises, les vins produits dans cette région jouissent d’une reconnaissance de plus en plus large, tant au niveau national qu’international. Le succès croissant des vins de Moselle dans les concours, ainsi que leur présence sur les tables de restaurants gastronomiques, confirment la renaissance de ce vignoble longtemps oublié. La production de vins blancs, rouges, et même de crémants met en lumière la diversité et la richesse de ce terroir.


Pour conclure

L’histoire du vignoble mosellan est celle d'une résilience face aux défis de l’histoire et de la nature. 

Grâce à l’engagement des viticulteurs actuels, le vin de Moselle, à travers son AOC, symbolise un retour aux sources et une valorisation des terroirs oubliés. Une balade sur la Route des Vins de Moselle, qui traverse une vingtaine de villages, permet aujourd’hui de goûter à ce patrimoine retrouvé et de célébrer l’excellence mosellane.


Sources :  

- Limédia Galeries, Histoire du vin de Lorraine et de Moselle  

- Metz Métropolitain, Histoire du vignoble mosellan 

- AOC Vins de Moselle, Histoire et Renaissance du vignoble de Moselle


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