Émile Carton : Un Lorrain Face aux Guerres et à l'Occupation

Récit chronologique d’Émile Carton : Une vie entre la terre et l’histoire

Émile Carton : Un Lorrain Face aux Guerres et à l'Occupation

Naissance et Enfance en Moselle (1863 - 1871)

Émile Carton est né le 5 mars 1863 à Dornot, une petite commune de Moselle, dans une région marquée par les tensions franco-allemandes. Il est le fils de François Carton et de Clara Niclout, une famille modeste ancrée dans la terre lorraine. À 7 ans, Émile assiste à la guerre franco-prussienne de 1870, qui bouleverse sa région et conduit, après la défaite française, au traité de Francfort en 1871. Ce traité cède l’Alsace et une partie de la Lorraine, dont la Moselle, à l’Empire allemand.

La région, désormais appelée Reichsland Elsass-Lothringen, subit une germanisation forcée, mais Émile, comme de nombreux Lorrains, reste profondément attaché à son identité française malgré le changement de langue, de lois et de culture imposées.

Vie d'Adulte : Forgeron, Vigneron à Novéant, et Père de Famille (1886 - 1892)

À l'âge de 22 ans, le 10 février 1886, Émile Carton épouse Guillaumine "Émilie" Toussaint à Novéant-sur-Moselle. 

Ensemble, ils fondent une grande famille, accueillant rapidement leur première fille, Ida Carton, née la même année. Émile débute sa carrière comme forgeron à Maxéville en 1889, mais les difficultés économiques et la domination allemande en Lorraine l’amènent à reprendre son activité de vigneron pour mieux subvenir aux besoins de sa famille.

Le couple aura plusieurs enfants :  

  • Ida Carton (1886-1919)  
  • Alfred Louis Alphonse Carton (1889-1941), expulsé de Moselle par les Allemands en 1940 . Réformé du service militaire Allemand et Français pour paralysie partielle
  • Adrien Carton (1892-1958), ouvrier et propriétaire marié en France, déchue de la nationalité Allemande pour désertion, interprète dans les mines pour l'armée en France en Isère.  
  • Ernst "Ernest" Carton (1893-1966), propriétaire et pensionné militaire, s'engage dans la Légion étrangère Française.
  • Henri "Heinrich" Carton (1895-1916), tué au combat sur le front Russe à Narajowka.  
  • Clémentine Marguerite Carton (1898-1899), morte à 1 ans.

En 1892, Émile devient propriétaire vigneron, une profession typique en Lorraine, bien que la viticulture traverse une période difficile à cause de la crise du phylloxéra, un insecte dévastateur. Malgré cela, Émile continue de cultiver ses vignes restantes, tout en travaillant en complément comme journalier pour subvenir aux besoins de sa famille.

Première Guerre Mondiale et Ses Tragédies (1914 - 1919)



Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, la famille d'Émile est profondément affectée. Son fils Adrien, marié à Hélène Navel une Française, refuse, suite à la mobilisation allemande et vit depuis 1913 en France. Ernest, quant à lui, s'engage dans la Légion étrangère et choisit de se battre pour la France. Alfred, affaibli par des problèmes de santé, et Henri (Heinrich) restent en Moselle auprès de leur père. Comme beaucoup de jeunes Lorrains de l’époque, Henri est contraint de rejoindre la Wehrmacht, l'armée allemande, contre son gré.

En 1916, lors de l'offensive Broussilov sur le front russe, Henri (Heinrich), l'un des fils d'Émile, trouve la mort au combat. Cette offensive, menée par l'Empire russe contre les puissances centrales, fut l'une des plus sanglantes de la Première Guerre mondiale, causant des pertes massives des deux côtés. Henri, enrôlé dans l'armée allemande, comme de nombreux jeunes Mosellans après la cession d'une partie de l'Alsace-Lorraine à l'Empire allemand, a dû combattre contre sa volonté sous les couleurs d’un pays qu’il ne considérait pas comme le sien.

Pour Émile et Émilie, cette nouvelle est un choc. Ils avaient déjà vu leur famille divisée par les conflits de loyauté imposés par la guerre. La mort de leur fils, tombé sous un uniforme Allemand, est d'autant plus douloureuse qu'ils avaient espéré que leurs enfants, échapperaient à ce sort tragique. Henri dit Heinrich, jeune homme pris dans une guerre qui ne lui appartenait pas, est devenu une autre victime de cette tension entre la France et l'Allemagne, qui déchirait des familles entières en Lorraine.

Cette perte bouleverse la vie des Carton. Émile, un père, voit son monde bouleversé, et son épouse Émilie ne se remet jamais vraiment du chagrin causé par la disparition de leur fils. La guerre ne leur a pas seulement volé un enfant, mais elle a aussi brisé l'unité de leur famille, exacerbant le sentiment d'injustice et d’impuissance que tant de Lorrains ont ressenti sous le joug allemand. 

Ce deuil marque une rupture profonde pour les Carton, une douleur à la fois intime et représentative du destin tragique de nombreuses familles mosellanes, prises au piège des conflits géopolitiques entre la France et l'Allemagne.

Trois ans plus tard, en 1919, la famille Carton est à nouveau frappée par le deuil avec la mort de leur fille Ida, emportée par une pneumonie à seulement 33 ans. Cette perte, survenue peu après la fin de la guerre, plonge une fois de plus Émile et Émilie dans la douleur. 1919 marque également la fin de la domination allemande en Moselle, grâce au traité de Versailles, qui réintègre la région à la France après des décennies de germanisation. Malgré cette victoire symbolique, la paix est de courte durée pour Émile, qui continue d'affronter des épreuves personnelles.

En 1934, un nouveau coup frappe la famille avec le décès d'Émilie Toussaint, épouse d'Émile. Ménagère, elle succombe à une pneumonie le 7 novembre 1934 à l'hôpital de Metz, laissant Émile seul face à la perte de ses proches, marqué par les épreuves des guerres et du temps. Émilie avait 71 ans.

Seconde Guerre Mondiale et l'Expulsion Nazie (1940)

En 1940, l'Allemagne nazie envahit de nouveau la France et annexe la Moselle, qu’elle intègre au Reich. Les autorités nazies mettent en place un programme de germanisation totale, visant à effacer toute trace de culture française. Les habitants doivent adopter la langue allemande, et toute forme de résistance est sévèrement réprimée.

Émile Carton, veuf alors âgé de 77 ans, est connu pour son attachement indéfectible à la France. Comme de nombreux Mosellans, il refuse de se plier à l’occupation allemande. En septembre 1940, les autorités nazies commencent à dresser des listes d’expulsion avec l'aide des mairies locales. Ces listes ciblent les personnes jugées trop francophiles ou attachées à la culture française. Émile est rapidement inscrit sur l'une de ces listes à cause de son identité pro-française.

L'Expulsion Violente et ses Répercussions (Novembre 1940)

En novembre 1940, les autorités allemandes déclenchent une vaste opération d’expulsion des Mosellans francophones. Les familles sont brutalement réveillées à l’aube, souvent vers 3 heures du matin, sans avertissement. Les habitants, y compris les vieillards, les enfants, et même les religieux des hospices, sont forcés de quitter leur domicile en quelques minutes, n’emportant que quelques affaires. Ceux qui résistent, comme Émile, sont confrontés à des représailles violentes.

Refusant de quitter sa terre, Émile Carton est violemment maltraité par les soldats allemands et doit être fusillé. Cependant, il sera battu et expulsé de force avec d'autres habitants de Moselle. Certaines familles, comme la sienne, chantent La Marseillaise en signe de défiance lors de leur embarquement dans des bus réquisitionnés ou des trains, un dernier acte de résistance face à l'occupant nazi.

Arrivé en France, Émile est affaibli physiquement et moralement. Les mauvais traitements subis, combinés à la fatigue de l'expulsion et aux conditions précaires, l’ont gravement affaibli. 

Les quatre départs d'expulsés listés de Novéant sont les suivants :

  • 13 novembre 1940 : Convoi n°7
  • 14 novembre 1940 : Convoi n°14
  • 21 novembre 1940 : Convoi n°57
  • 22 novembre 1940 : Convoi n°65

Il arrive entre le 19 et le 20 novembre 1940 à Lyon-Brotteaux,  avec un de ces convois où il doit transiter pour une destination : l'Ariège, le Haut et Garonne, le Vaucluse ou le Lot et Garonne.

Les Derniers Jours d’Émile : Mort en Exil à Lyon (1940)

En novembre 1940, après avoir été violemment maltraité, Émile dit Nicolaus" Carton est emmené par les Allemands pour être fusillé. Finalement, il est expulsé du Reich entre le 13 et le 22 novembre comme indésirable, avec de nombreux autres habitants, dans des convois de trains à destination de la France à Lyon-Brotteaux. 

Convois de réfugiés 1940

Affaibli, il arrive à Lyon, où il est hospitalisé. Il y décède le 23 novembre 1940, à l’âge de 77 ans, peu de jours après son arrivée.

Lyon Brotteaux

Il est ensuite inhumé parmi au cimetière de Lyon, loin de sa terre de Lorraine qu’il chérissait tant. 

Convoi funéraire le 27 novembre 1940.

Cimetière de la Guillotière (ancien), Lyon 69007, 92 boulevard des Tchécoslovaques, porte secondaire.

En un mot : Un Homme de Résistance et de Courage

La vie d’Émile Carton incarne la résistance silencieuse des Mosellans face aux deux occupations allemandes. Forgeron, vigneron et père de famille, Émile a été témoin de la germanisation forcée de sa région, mais est resté fidèle à son identité de coeur, la France jusqu’à la fin. 

Son expulsion en 1940 symbolise les sacrifices d'un homme attaché à sa terre et à sa patrie. En refusant de se soumettre aux nazis, il a fait preuve d’un courage face à l’oppression. Sa vie et son histoire nous rappellent les épreuves subies par de nombreuses familles lorraines pendant cette période tragique.

Expulsion de 1940

En 1940, sous l'occupation nazie, les Mosellans, parmi lesquels Émile Carton et son fils Alfred, furent victimes d’expulsions massives orchestrées par le régime nazi. 

Ces expulsions ciblaient des groupes jugés "indésirables" : les Juifs, les francophiles, les fonctionnaires originaires d’autres régions de France, les anciens déserteurs de l’armée allemande, ainsi que d’autres personnes perçues comme opposées à l’idéologie nazie. 

Entre juillet et novembre 1940, sous l’autorité du Gauleiter Josef Bürckel, 84 000 Mosellans furent contraints de quitter leurs terres, souvent en raison de leur culture francophone, considérée comme "welsche" (péjorative) par les Allemands. 

Ces expulsions s’accompagnèrent fréquemment de maltraitances, comme ce fut le cas pour Émile et Alfred Carton. Les expulsés furent brutalisés physiquement et psychologiquement par leurs bourreaux, contraints d’abandonner leurs biens et de subir des conditions de transport inhumaines. 

Ces expulsés, abandonnés à leur sort, n'ont bénéficié d'aucun accueil organisé.

Les expulsions se poursuivirent, à un rythme réduit, jusqu’en 1943, affectant au total plus de 87 000 personnes en Alsace-Moselle.  

Émile Carton, affaibli par les mauvais traitements subis et le traumatisme de l’expulsion, décéda à Lyon le 23 novembre 1940. Son fils Alfred, profondément marqué par ces épreuves, mourut à Cadillac le 7 mai 1941 dans un contexte de désorganisation et de grandes difficultés liées aux déplacements forcés. 

Ces tragédies illustrent le sort des nombreuses familles mosellanes déracinées et brisées par les politiques de persécution et de déshumanisation imposées par le régime nazi.

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Émile Carton dans le cadre de son service militaire

Émile Carton, né en 1863 à Dornot, Moselle, a grandi sous l'annexion allemande après 1871. Lorsqu'il atteint l'âge du service militaire (environ 1883), il est considéré comme citoyen allemand en vertu du Traité de Francfort et est soumis à la conscription dans l'armée impériale allemande, comme tous les jeunes hommes d'Alsace-Lorraine.

Points clés à retenir concernant son service militaire :

1. Perte de la nationalité française : Comme il est né en 1863, avant l'annexion, Émile Carton perd automatiquement sa nationalité française en 1871. Il devient alors sujet allemand et, à ce titre, soumis aux lois de l'Empire allemand, y compris pour le recrutement militaire.

2. Archives militaires : Malheureusement, la recherche de détails précis sur le parcours militaire peut être complexe, car les registres matricules allemands pour les conscrits entre 1872 et 1918 ont été en grande partie détruits lors des bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale. 

4. Ressources pour la recherche : 

- Les Archives départementales (série AL pour la Moselle) conservent des listes préparatoires au recrutement militaire, qui indiquent parfois l’arme dans laquelle un jeune homme a été versé. 

5. Première Guerre mondiale (1914-1918) : Pendant la Première Guerre mondiale, Émile Carton, alors âgé d’environ 51 ans, était trop âgé pour être mobilisé dans l’armée allemande. 

6. Conséquences après la guerre : Les fiches matricules créées après la guerre par l'administration militaire française en 1919 pour les hommes revenus en Alsace-Lorraine n’auraient pas concerné Émile, car elles se limitaient aux hommes plus jeunes encore soumis aux obligations militaires. 


Fiche militaire (allemande) d'Émile Carton, dit "Nicolaus" (Classe 1883)

1. Informations générales :

  • Nom complet : Émile Carton "Nicolaus" dans le registre, un surnom en référence à sa mère, Nicloux.
  • Numéro courant (Laufende No.) : 169.
  • Position dans la liste alphabétique : 191.
  • Date et lieu de naissance : 5 mars 1863, à Dornot, district de Metz, Lorraine (Reichsland Elsaß-Lothringen à l’époque).
  • Domicile : Novéant-sur-Moselle, proche de Metz (Lorraine annexée).
  • Religion : Catholique.
  • Profession : Vigneron.
  • Taille : 175 cm.

2. Évaluation physique et médicale :

  • Défauts corporels (Körperliche Fehler) :
Noté 87/92,  indique une évaluation physique selon les normes militaires.
  • Observations :
Émile a été évalué par la commission, mais aucune mobilisation active n’a été décidée.

3. Recrutement :

  • Numéro de tirage au sort (Los-Nummer) : 56.
  • Proposition de la commission de remplacement (Vorschlag der Ersatz-Kommission) :
    • Jugé apte pour le service, potentiellement orienté vers l’artillerie de campagne (Feldartillerie), comme en témoigne la mention "Feldart.".
  • Décision de la commission supérieure (Entscheidung der Ober-Ersatz-Kommission) :
    • Décision finale : "Zuführbar 57", signifiant qu’il était jugé apte à être affecté mais n’a pas été mobilisé activement.

4. Stationnement et contexte :

Affectation théorique :
  • Émile était administrativement affilié au 69ᵉ Régiment d'Infanterie de Remplacement, une unité chargée de gérer les recrues locales.
  • La mention "Feldart." pourrait indiquer une orientation envisagée vers une unité d’artillerie de campagne, mais cela n’a jamais été concrétisé. :
  • Émile n’a pas été mobilisé ni transféré vers une unité active, restant à Novéant-sur-Moselle.

En un mot

Âge :
  • Né en 1863, Émile avait 51 ans en 1914, ce qui le plaçait à la limite supérieure de l’âge pour la mobilisation. À cet âge, les hommes étaient généralement ajournés ou affectés à la Landwehr (réservistes locaux).
Inaptitude partielle :
  • La notation 87/92 indique une condition physique
Statut familial ou professionnel :
  • En tant que vigneron dans une région agricole clé, Émile aurait pu être jugé indispensable à l’économie locale ou à son foyer.

Émile Carton, mentionné comme "Nicolaus" dans les registres, a été inscrit dans les registres militaires allemands de 1883, affilié administrativement au 69ᵉ Régiment d'Infanterie de Remplacement. Bien qu’une orientation vers l’artillerie de campagne (Feldartillerie) ait été envisagée, il n’a jamais été mobilisé activement. Âgé de 51 ans en 1914, il a probablement été exempté pour des raisons d’âge, de santé ou de rôle économique local. Émile est resté à Novéant-sur-Moselle sans participation militaire active.

Sources disponibles et possibilités de recherche :

- Archives départementales de Moselle (séries AL pour les listes préparatoires, série R pour les fiches matricules reconstituées après 1919).

- La base de données Mémoire 1870-1918 des Archives départementales de Moselle pour les soldats morts en service.

-Archives allemandes

(site-du-Bundesarchiv,

-[ersterweltkrieg.bundesarchiv.de] - 

(https://ersterweltkrieg.bundesarchiv.de/genealogie.html) pour les unités et les régiments allemands pendant la Première Guerre mondiale.

- Les listes de prisonniers de guerre sur le site de la Croix-Rouge internationale pour obtenir des informations sur les soldats capturés pendant la guerre.



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