Conscription en Moselle : 1914-1918 - Le cas Heinrich
Conscription des Mosellans sous l’Empire allemand (1871-1918)
Analyse générale et le cas spécifique de Heinrich Carton
L’histoire des conscrits mosellans sous l’annexion allemande révèle des dynamiques complexes, marquées par des stratégies d’affectation basées sur la méfiance et le contrôle des populations locales.
Cet article commence par une analyse des hypothèses d’affectation des membres de la famille Carton dans les régiments lorrains, avant de détailler le cas particulier de Heinrich Carton, dont le parcours illustre les tensions identitaires et les décisions stratégiques des autorités allemandes.
1. Hypothèses d’affectation pour les membres de la famille Carton
Contexte de la conscription pour les Carton
La famille Carton, originaire de la région de Metz-Campagne (Novéant-sur-Moselle, Maxéville et Dornot), aurait été soumise à la conscription allemande dans des régiments locaux. Les régiments d’infanterie lorrains (Lothringisches Infanterie Regiment) sont les unités les plus probables pour les fils et le père de la famille, étant donné leur lieu de résidence.
Analyse par membre de la famille
Henri (Heinrich) Carton, né en 1895 à Novéant, classe 1915
Henri aurait logiquement été affecté à l’un des régiments suivants :
Mais ce ne fut pas le cas pour lui !
- 130e, 135 ou 145e Régiment d’Infanterie Lorraine, basé à Metz.
- 144e Régiment d’Infanterie Lorraine, basé à Thionville.
Ernest (Ernst) Carton, né en 1893 à Novéant, classe 1913
Ernest, appartenant à une classe antérieure, aurait pu être affecté dans des régiments similaires :
- 130e,135e ou 145e Régiment d’Infanterie Lorraine à Metz.
- Éventuellement dans un régiment de réserve lié à ces unités.
- Adrien (Adrian) Carton, né en 1892 à Novéant, classe 1912
- Adrien aurait pu être affecté dans les mêmes unités, avec une probabilité élevée pour le 130e Régiment d’Infanterie Lorraine ou un régiment voisin.
- Alfred Louis Alphonse (Ludwig) Carton, né en 1889 à Maxéville, classe 1909
- Alfred, en raison de sa classe plus ancienne, aurait pu servir dans le 130e,135e ou 145e Régiment d’Infanterie Lorraine à Metz.
- Émile Carton, né en 1863 à Dornot, classe 1883
- Trop âgé pour la Première Guerre mondiale, Émile aurait effectué un service initial dans un régiment local (probablement le 130e Régiment), avant d’être versé dans la réserve (Landwehr) ou le Landsturm.
Régiments et dépôts de recrues dans la région
Les dépôts de recrues associés à ces régiments incluent :
- Metz : Principal centre militaire pour les 130e,135e, 145e Régiments.
- Thionville : Dépôt pour le 144e Régiment.
- Trèves : Dépôt pour certains régiments de réserve.
Confirmation des hypothèses
Pour valider ces hypothèses, il est nécessaire de :
1. Consulter les listes préparatoires au recrutement (12 AL des Archives départementales de la Moselle).
2. Explorer les documents relatifs aux dépôts de recrues pour confirmer leur formation.
3. Rechercher les chroniques régimentaires des régiments potentiels.
2. Le cas particulier de Heinrich Carton
Contexte familial et surveillance des autorités
Heinrich Carton, né en 1895, appartient à une famille considérée comme pro-française par les autorités allemandes. Deux de ses frères avaient quitté la Moselle pour rejoindre la France, renforçant les soupçons sur la loyauté de la famille. Cette méfiance a conduit les autorités à surveiller étroitement Heinrich, au point d’intervenir directement chez lui pour l’empêcher de fuir en France.
Son affectation au 18e Régiment d’Infanterie de Réserve (18 RIR)
Malgré sa résidence en Lorraine, Heinrich est affecté au 18e Régiment d’Infanterie de Réserve, une unité prussienne opérant principalement sur le front de l’Est.
Cette affectation reflète plusieurs stratégies des autorités allemandes :
1. Éloignement géographique :
- Heinrich est envoyé dans un régiment prussien pour limiter ses interactions avec d’autres conscrits mosellans et réduire les risques de solidarité culturelle.
- Les autorités privilégiaient les régiments éloignés pour les jeunes issus de familles pro-françaises.
2. Front de l’Est :
- En 1916, le 18 RIR combat sur le front de l’Est, notamment en Galicie lors de l’offensive Broussilov.
Les Mosellans étaient fréquemment envoyés sur ce front pour éviter toute fraternisation avec les forces françaises sur le front de l’Ouest.
3. Régiment de réserve :
- Le 18 RIR, en tant que régiment de réserve, recevait des recrues de diverses régions pour combler les pertes massives.
L’intervention des autorités
L’intervention des autorités allemandes pour empêcher Heinrich de rejoindre la France confirme leur méfiance envers lui et sa famille. Cette arrestation a probablement déterminé son affectation loin de sa région d’origine.
Conséquences pour Heinrich
1. Isolement et pression culturelle :
- Être intégré dans un régiment prussien a renforcé son isolement culturel, exacerbé par le fait de servir sous un uniforme allemand dans une zone éloignée de la Lorraine.
2. Exposition au danger :
- Sur le front de l’Est, Heinrich a été confronté à des combats violents et à des conditions de vie difficiles, caractéristiques des campagnes menées en Galicie.
3. Pression sur la famille :
- L’arrestation et l’affectation de Heinrich ont accentué les tensions subies par sa famille, déjà marquée par des départs et des pressions politiques.
En un mot
L’histoire de la famille Carton reflète la complexité de la conscription en Moselle sous l’Empire allemand. Tandis que la plupart des fils auraient logiquement servi dans des régiments lorrains comme le 130e Régiment d’Infanterie, le cas de Heinrich Carton illustre une stratégie différente.
Son affectation au 18e Régiment d’Infanterie de Réserve prussien et son envoi sur le front de l’Est témoignent des mesures de contrôle exercées par les autorités allemandes sur les familles perçues comme politiquement suspectes.
Ce cas particulier illustre à la fois les stratégies répressives des autorités allemandes et les dilemmes identitaires vécus par les conscrits mosellans, tiraillés entre leur culture d’origine et leur devoir imposé envers un Empire auquel ils ne s’identifiaient pas.
Fiche d’identité du Régiment d’Infanterie de Réserve n° 18 (18e RIR)
- Actif : 2 août 1914 – mi-septembre 1918
- Nation : Empire allemand (Deutsches Kaiserreich)
- Armée : Armée prussienne (Preußische Armee)
- Type : Régiment d’infanterie
02.08.1914 : Le régiment de réserve est mobilisé selon le plan de mobilisation.
En plus de l’entrée en campagne du régiment, un bataillon de remplacement et un dépôt de recrues sont mis en place.
- 1er bataillon à Braunsberg
- 2e bataillon à Deuscht. Eylau
- 3e bataillon à Osterode
avec 2 compagnies de mitrailleuses
Commandants de régiment
02.08.1914 :
Lieutenant-colonel Frhr. v. Lützow (v. IR 152)- I. Bataillon : Major v. Schlieben (v. IR 59 ; † 17.11.14)
- II. Batl. : Major v. Poten (v. IR 152 ; † 22.11.14)
- III. Batl. : Major Frühling (v. IR 152)
-Composition initiale :
- 12 compagnies d’infanterie
- 2 compagnies de mitrailleuses (1914)
- Augmentation à 3 compagnies de mitrailleuses (1916)
- Effectif : Entre 2000 et 2500 hommes
Subordination :
Affectations principales :
- 1ère division de réserve (1914 - mi-guerre)
- 225e division (fin de la guerre, après réorganisation)
Théâtres d’opérations :
Front de l’Est
- Bataille de Gumbinnen
- Bataille de Tannenberg
- Bataille des Lacs de Mazurie
- Bataille de Lodz
- Przasnysz- Schaulen
Offensive Broussilov
Riga
Front occidental
- Offensive allemande du printemps 1918
Rôle dans la Première Guerre mondiale :
Le 18e Régiment d’Infanterie de Réserve était une unité de l’armée prussienne mobilisée dès le début de la guerre. Initialement déployé sur le front de l’Est, il a pris part aux grandes victoires allemandes, notamment à Tannenberg, aux Lacs de Mazurie et en Galicie avant d’être transféré au front occidental en 1918 pour participer à l’offensive du printemps. Il s'est distingué dans des combats de haute intensité, mais comme de nombreuses unités allemandes, il a souffert de l’épuisement et du manque de ressources à la fin de la guerre.
Dissous à la mi-septembre 1918 dans le contexte de la désorganisation croissante de l’armée allemande, le 18e RIR illustre la trajectoire typique des régiments de réserve : un engagement massif en début de conflit, une guerre d’usure prolongée, et une désintégration progressive sous la pression alliée.